« Le style à sa source ». Avec cette punchline, Isabelle Crampes – fondatrice de deToujours – était la candidate rêvée pour répondre à notre interview Figure de style. Cette marseillaise, qui est passée naturellement du monde de la musique à celui du vêtement, avait en tête une idée bien précise en lançant son eshop : sourcer toutes les pièces originales de vêtements issus de métiers, de sports ou de traditions régionales, éternelles sources d’inspiration pour les créateurs. En quelques années, son site est devenu un véritable conservatoire vivant de l’histoire du vêtement. À tel point que le Mucem lui a confié le commissariat d’une exposition l’été passé au Fort Saint Jean. Mais au-delà de son expertise et de son immense connaissance de l’histoire du vêtement, on aime son humour et le ton décalé avec lequel elle arrive à nous communiquer sa passion pour la pièce iconique tout en la rendant accessible. Remettre sur le devant de la scène les pépites originales du passé qui sont encore fabriquées dans les règles de l’art. Sur son site, on navigue du simple débardeur de docker ou tricot de peau indien, à la chemise militaire, en passant par les espadrilles catalanes, la vareuse de marin, la blouse roumaine brodée main, ou le canotier anglais… et la liste pourrait encore durer ! Une mine d’or pour celles et ceux qui aiment se réapproprier ces pièces immuables faites pour durer. La source du style, donc. Et sans se prendre au sérieux, avec ça.
Coup de projecteur sur Isabelle Crampes, une figure de style incontestée !
– Si tu étais une couleur
Le bleu marine. Tout me parait plus beau en bleu marine, les fringues, les murs, les velours des fauteuils, les fonds marins… Et puis bon, le prestige de l’uniforme.
– Si tu étais un accessoire
La ceinture MIAM, pardon c’est une création deTOUJOURS mais j’en suis folle, c’est l’accessoire dont je rêvais, un sac ceinture multi poches, à la fois utilitaire pour cuisiner en ayant tous ses ustensiles sur soi, dont ses couteaux, comme avec Armand Arnal le chef de la Chassagnette à Arles qui l’a conçu avec moi chez la Botte gardiane, ET aussi accessoire mode, un serre-taille très habillé, presque fétiche, qui donne un look à la Tomb Rider un peu pétroleuse, structure la silhouette. Enfin les mains libres pour danser avec TOUT sur moi : un vieux fantasme élaboré sur du vécu, mon ancien métier lié à la musique, et ma grande expérience d’expression corporelle sur dancefloor. La poche est l’avenir de la femme.
– Un fashion faux-pas
Le fashion faux-pas c’est la base de ma philosophie « La mode c’est moi ». Je ne doute pas, je déteste que quelqu’un vienne m’expliquer quoi que ce soit à ce sujet, et je pousse tout le monde à se dire « La mode c’est moi ». On expérimente. C’est super raté parfois mais ça a du panache, ça ouvre des voies et c’est tellement une joie généreuse de jouer avec les vêtements, de tenter des trucs, de changer de personnage… Les meilleures modeuses(-x) font n’importe quoi, tout comme les gens les plus chics, c’est bien connu.
– Une décennie
Je suis trop passionnée d’histoires et de vieilles archives pour une réponse lapidaire: Pour la mode pour homme je fais une fixette absolue sur la fin du XIXe siècle, des gilets, des jarretières à chaussettes, des hauts de forme et des canotiers et pour les femmes c’est une décennie glissante de fin 70s début 80s c’est très précis mais c’est le summum de la féminité à mes yeux.
Pour les moeurs et l’ambiance les 70s, et pour la musique par principe toujours la décennie en cours.
– Si tu étais un personnage de fiction
Jill Layton, l’ange qui apparait dans les rêves du héros de Brazil le film de Terry-Gilliam des Monty Python ( la preuve que les gens drôles sont souvent les plus profonds). Je l’ai vu à sa sortie en salle en 85, il m’a profondément marqué, c’est déchirant de voir comment ce cinema d’anticipation est notre réalité contemporaine. Cet ange, c’est l’amour et le rêve qui rend libre, alors tant qu’à choisir…
– Un mega snobisme
Prétendre ne pas être snob, sans doute.
– Si tu étais une référence absolue
L’encyclopédia universalis.
– Si tu étais un vêtement iconique
Un vêtement modèle (sic) tu veux dire ? Je serais une espadrille traditionnelle avec ses rubans toujours comme celles que portait Salvator Dali, d’abord parce que je suis catalane du côté maternel ( la catalogne française), mais aussi parce qu’elles évoquent à mes yeux la liberté dont elles ont été le symbole quand artistes et intellectuels du début du 20e siècle les ont adoptés pour exprimer leur besoin de retour au naturel, à la vie simple, leur amour du soleil, des lignes pures, leur goût d’un corps libéré des entraves d’une civilisation jusqu’alors corsetée, et l’apparition de femmes d’un nouveau genre affranchies de tous les diktats.
– Une tenue du dimanche
Sur le papier un déshabillé de soie vintage long, avec une veste en velours palatine de gardian de Camargue, en vrai un king size T-shirt pour trainer au lit avec des bouquins.
– Si tu étais une mode passagère
L’apparition du mot durable/sustainable à toutes les sauces, je serais ce mot.
– Une envie tenace
de croire aux miracles…
– Si tu étais une longue histoire
Moi et Marseille, j’y suis née, je ne l’ai jamais quittée ou si peu, j’ai voulu œuvrer pour la faire briller loin depuis toujours et qu’on vienne à elle à une époque où, pour « réussir », les gens pensaient qu’il fallait partir… mais pour quelle définition de la réussite ? C’était la question centrale, et je crois qu’aujourd’hui une inversion des valeurs la remet au centre du jeu. Ultra régionaliste universelle, je ne me suis jamais sentie « province » et j’ai toujours trouvé ploucs ceux qui avaient ce type de filtre.
Comme les Corses, les Catalans, les Basques, les Bretons, notre territoire est fier, ancré comme les cèdres qui y pullulent. Une longue histoire, car j’ai une passion toujours renouvelée, vibrante, pour son paysage calcaire, antique, sa topographie qui en fait un monde en soit. Campagnes, plages, collines, montagnes, pour son architecture cumulée et secrète de 2600 d’histoire, pour ses éléments puissants, la mer, le vent, le soleil, les pluies diluviennes avec lesquels elle fait corps, et enfin ce creuset de civilisations à hauteur d’homme. Elle me fatigue parfois, trop intense, mais loin d’elle je languis, je trouve tout fade.