À la frontière du réel et du récit, sur une terre fragile qui naît et s’efface, l’artiste-philosophe explore Ferdinandea, île éphémère surgie en 1831 dans le canal de Sicile. Selon une approche polyphonique mêlant films, vidéos et photographies, l’exposition invite à repenser l’espace du milieu et pose une question vertigineuse : si l’île réapparaissait aujourd’hui, que dirait-elle de notre manière d’habiter la Terre ?
Si l’hypothèse plausible est surveillée par les sismologues, le parcours, lui, se déploie au fort Saint-Jean jusqu’au 20 septembre 2026.

37°12’N, 12°42’E

C’est chez un bouquiniste à Palerme que Clément Cogitore découvre l’existence de Ferdinandea. À la croisée de l’art contemporain et du cinéma, l’artiste, largement exposé en France et à l’international, développe depuis plusieurs années une pratique qui interroge notre rapport aux images. En 2022, son deuxième long métrage, Goutte d’Or, présenté à la Semaine de la critique à Cannes, est récompensé par le Prix du scénario – Hildegarde et distingué dans plusieurs festivals internationaux. Très vite inspiré par l’histoire de cette île méditerranéenne née d’une activité volcanique, apparue brièvement à l’été 1831, il engage avec son équipe et celle du Museo Madre à Naples un travail de recherche et de documentation. L’île se révèle tour à tour phénomène naturel, objet d’expéditions scientifiques et support de propagande impérialiste pour des puissances européennes en pleine expansion coloniale, tout en nourrissant des imaginaires et des croyances populaires, où affleurent des monstres marins.

Incertitudes

Première présentation personnelle de l’artiste dans le Sud, le projet au Mucem réunit un corpus de sept œuvres récemment acquises par le musée — un film en 16 mm, trois vidéos et trois photographies sous verre gravé — enrichi par un important travail de documentation et de recherche de nouvelles archives mené par les commissaires. Déjà présenté en Italie, cet ensemble est dévoilé pour la première fois en France. Le parcours accorde une attention particulière à l’histoire coloniale française et s’appuie sur une scénographie inédite. Il réunit notamment les gouaches de Camillo de Vito, dont Le nouveau volcan apparu dans la mer de Sicile, des cartographies d’époque ainsi que des lettres échangées entre diplomates, témoins des ambitions d’expansion géographique et de contrôle territorial. Par sa position stratégique, l’île est en effet revendiquée en quelques semaines par la Grande-Bretagne, la France et le royaume des Deux-Siciles. La déambulation, volontairement plongée dans l’ombre, se veut libre et immersive et conduit vers
l’œuvre centrale, projetée dans une black box — un film de 42 minutes intitulé Incertitudes. En filigrane, une interrogation affleure, dans l’écho de cette phrase de Roland Barthes : « Le mythe est une valeur ; il n’a pas la vérité pour sanction : rien ne l’empêche d’être un alibi perpétuel. »

Matières

Structuré en sept chapitres, précédés d’un prologue et clos par un épilogue, le film — seule pièce narrative du corpus d’œuvres créé par Clément Cogitore — maintient le spectateur en éveil, sur une ligne de crête entre utopie et dystopie.
L’artiste brouille toujours davantage les frontières entre les langues, les paysages et les époques. La tension monte, telle une éruption inéluctable. La sentence est fatale : « la terre rend les coups. Tous les coups qu’on lui donne. » Le film dialogue avec d’autres œuvres, comme les photographies sous verre gravé, qui exposent la matière même du monde : telle cette onde de choc captée par drone, révélant la perturbation des courants sous-marins encore produite aujourd’hui par l’île, reposant à seulement quelques mètres sous la surface.
Dans cette Méditerranée dont la lumière fut, pour Nietzsche, une révélation philosophique, une inscription en maltais – « c’était la terre qui envoyait des signes » – rappelle que les œuvres de Cogitore se donnent à lire dans la lumière, la matière et les failles du réel.

Clément Cogitore : Ferdinandea, l’île éphémère
Au Mucem, du 10 décembre au 20 septembre 2026
Esplanade du J4, Gisèle Halimi 13002 Marseille